Retour

«L'épidémie de résistance aux antibiotiques est plus inquiétante que le Mpox»

«L'épidémie de résistance aux antibiotiques est plus inquiétante que le Mpox»

27.08.2024

La vaccination contre le Mpox, auparavant appelé variole du singe, est disponible pour les personnes à risque depuis le 29 août au RHNe.

Le Mpox fait beaucoup de bruit depuis qu'un nouveau sous-type, le clade I, plus virulent que le clade II de l'épidémie de 2022, s’est répandu sur le continent africain où il a déjà fait 500 morts.

Mi-août, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) déclarait la maladie «urgence de santé publique de portée internationale» et un premier cas était diagnostiqué en Europe, en Suède, chez un voyageur de retour d'une région touchée par l'épidémie.

Quels sont les risques de contagion en Suisse? Quels sont les symptômes? Qui devrait se faire vacciner? Le Dr Olivier Clerc, médecin-chef du service d'infectiologie du RHNe, répond à ces questions et se montre rassurant. Il rappelle que l'épidémie de résistance aux antibiotiques reste plus préoccupante.

Quel est le risque d'attraper le nouveau variant de Mpox en Suisse?

Dr Olivier Clerc: Il est extrêmement faible. Le mode de transmission du nouveau variant reste le même: il faut un contact intime ou très rapproché. Les cas que nous avions eu en Suisse en 2022 étaient des transmissions majoritairement par voie sexuelle. Mais à l'époque, il s'agissait du Mpox sous-type 2. Le nouveau sous-type I semble être plus virulent. Cela reste quand même un virus peu contagieux et dont la gravité est probablement modeste.

On évoque pour l'instant un taux de mortalité d'environ 3%. Qu'en est-il?

Au début d'une épidémie, la mortalité est toujours surévaluée parce qu'on connaît bien le nombre de personnes décédées, mais pas avec certitude le nombre total de malades. Là, on arrive à près à 3% de décès, dont principalement des enfants et des personnes fragiles, sur 15 000 malades recensés, dans une situation où les moyens dédiés à la santé sont faibles. On n'a pas eu de décès durant l'épidémie de 2022 en Europe et on ne s'attend pas à en avoir avec ce nouveau sous-type. Les patients décèdent plutôt des complications telles que des surinfections bactériennes pour lesquelles des antibiotiques sont disponibles. Un traitement antiviral, le tecovirimat, semble efficace et serait disponible pour des personnes très immunosupprimées.

La transmission peut-elle également se faire par le linge de lit ou les vêtements?

Oui, le virus peut persister dans l'environnement, donc dans le lit ou sur les habits, sous forme infectieuse assez longtemps, probablement jusqu'à 14 jours. Mais le virus n’est pas particulièrement résistant au désinfectant ou au traitement habituel du linge.

À partir de quel moment les malades sont-ils contagieux?

La maladie commence par de la fièvre, des douleurs, 1 à 2 jours avant l'apparition des lésions cutanées qui vont évoluer vers des croûtes. Les personnes peuvent parfois déjà être contagieuses à ce moment-là. Mais c'est surtout par contact avec les lésions cutanées que la contagiosité survient.

Ces lésions laissent-elles des cicatrices?

Toutes les lésions cutanées, comme celles de la varicelle, peuvent laisser des cicatrices. Mais il ne s'agit pas du virus de la variole qui par le passé défigurait les gens. Avec le Mpox, le nombre de lésions est très variable. Dans l'épidémie de 2022, les patients n’en avaient pour la plupart que quelques-unes, parfois au niveau des organes génitaux. Elles peuvent laisser des marques un peu plus foncées, qui s'équilibrent généralement avec le temps. À part cette atteinte cutanée, il existe des cas rares d’atteinte de l’œil, qui parfois peuvent donner lieu, en cicatrisant, à des troubles de la vue, mais ce sont des séquelles exceptionnelles.

Par contre, les gens qui ont été vaccinés contre la variole de l'époque ont une immunité résiduelle?

Oui, les personnes plus âgées qui ont bénéficié du vaccin contre la variole sont moins à risque. Ils n'ont d'ailleurs besoin que d'une dose du vaccin actuel, au lieu de deux, parce qu'ils ont déjà une certaine immunité.

Le vaccin actuel est-il le même que celui employé pour l'épidémie de 2022?

Il y a une protection croisée entre les deux souches du virus, clade I et II, donc c'est le même vaccin. C'est un vaccin qui existe depuis longtemps et qu'on peut administrer à tout le monde, y compris aux personnes immunosupprimées parce qu'il ne peut pas provoquer la maladie.

Depuis le 26 août, la vaccination est possible au RHNe. Qui devrait se faire vacciner ?

Très peu de monde: en premier lieu les hommes qui ont du sexe avec des hommes et les personnes trans qui changent de partenaires fréquemment, pour la raison que c'est le collectif qui a été touché en 2022. Pour partir en vacances en Afrique, le vaccin n'est pas nécessaire. Par contre, on vaccinerait les gens qui partiraient en mission humanitaire, dans des conditions où ils n'auraient pas forcément accès à tous les moyens de protection. Il y a aussi une discussion sur l'indication de vacciner le personnel soignant potentiellement exposé à des cas, mais c’est actuellement une indication trop large. Personnellement, je ne vais pas me faire vacciner parce que le risque est trop faible. Les mesures de protection standard à l’hôpital suffisent pour se protéger.

Comment se passerait la prise en charge en cas de suspicion de Mpox?

Ce n'est pas une infection grave au point de nécessiter une hospitalisation systématique. On peut gérer la plupart des malades en ambulatoire. Le test diagnostic se fait au Centre des maladies émergentes, aux HUG, et on déclare la suspicion au médecin cantonal. Si le malade n'a pas de critère d'hospitalisation, il observe une quarantaine à domicile, suivie par le médecin cantonal.

Combien de temps dure la quarantaine?

Deux à trois semaines, jusqu'à ce que toutes les croûtes se soient détachées. C'est le critère qui nous permet de dire que le patient n'est plus contagieux. Il doit rester isolé des autres, y compris à domicile, ce qui est contraignant.

Le 31 juillet, l'OMS a émis une autre alerte, passée plus inaperçue: celle concernant la circulation de la super bactérie Klebsiella pneumoniae.

Cette bactérie est un des exemples, et ils sont nombreux, de la problématique de la résistance aux antibiotiques, à laquelle l'OMS s'intéresse depuis longtemps. Les bactéries comme Klebsiella pneumoniae, sont intrinsèquement virulentes et peuvent provoquer des infections graves. Elles sont également capables de devenir très résistantes aux antibiotiques, parfois résistantes à tous les antibiotiques disponibles.

Quand on n'a pas d'antibiotiques actifs en cas d’infection grave à ce type de bactéries, les patients sont à risque de mourir comme dans les années 1940, avant que les antibiotiques n’apparaissent. C'est beaucoup plus inquiétant que le Mpox. La résistance aux antibiotiques est l'épidémie avec la mortalité la plus élevée attendue dans les prochaines années. C’est une situation qui est vraiment alarmante.

Quelles sont les pistes pour contrer cette résistance?

On a quelques nouveaux antibiotiques, heureusement, mais on aurait besoin de davantage de développement de nouvelles substances. Les antibiotiques coûtent cher à développer pour l’industrie pharmaceutique et rapportent peu, contrairement à des traitements que les gens doivent prendre à vie. C'est une des raisons, parmi d'autres évidemment, qui expliquent pourquoi on n'a pas beaucoup de nouveaux traitements. Face aux superbugs, on doit parfois ressortir du tiroir de vieux antibiotiques qu'on n'utilisait plus depuis des décennies, car ils étaient trop toxiques.

Quels sont les pays les plus touchés par cette résistance aux antibiotiques?

Il y a des pays de très forte endémie de résistance antibiotique: l'Inde, la Chine et certains pays d'Asie du Sud-Est où la situation est beaucoup plus grave que chez nous, où vous trouvez des germes multirésistants même dans l'eau du robinet. Deux semaines de vacances sur place et vous avez une chance de revenir colonisé par des germes multirésistants. La situation est généralement moins grave dans les pays qui utilisent de manière plus restrictive les antibiotiques. Mais par exemple, en Italie du Nord, il y a beaucoup de bactéries multirésistantes. Chaque année, des patients sont hospitalisés durant leurs vacances, et quand ils sont retransférés ici, on doit les dépister et les mettre en quarantaine à cause de cela.

Ces germes multirésistants sont-ils contagieux?

Oui, cela peut se transmettre par contact, mais aussi à l'hôpital par l'environnement. Si on prend la tension d'un patient et qu'on prend ensuite la tension du voisin, sans désinfecter le tensiomètre, il y a un risque de transmission, raison pour laquelle on doit prendre des mesures d’isolement.

Que peut-on faire, toutes et tous, pour ne pas aggraver la situation?  

A notre échelle, il faut essayer de ne pas prendre d’antibiotiques sans bonne indication, mais c'est bien sûr d’abord le rôle du médecin qui prescrit. Plus on administre d'antibiotiques, et plus on sélectionne des résistances.

Au niveau alimentaire, certaines viandes, dont le poulet, sont fréquemment colonisées par des germes multirésistants. Mais le principal facteur de risque pour les Suisses d'être porteurs de germes multi-résistants, c’est actuellement probablement les voyages…

La situation peut-elle revenir à celle de l'ère pré-antibiotique?

Une personne jeune qui faisait une pneumonie en 1940 avait 20% de risque d’en mourir. S'il faisait une endocardite ou une méningite, c'était 100%. On évoque parfois la possibilité d'un retour à cette situation, « l’ère post-antibiotique ». Mais on n'en est pas encore là, heureusement!