La pratique du secret a-t-elle une place à l'hôpital ?

Inscrit en tant que tradition vivante au Patrimoine mondial de l'Unesco, le secret, pratique non rémunérée et exercée principalement dans les cantons de Fribourg, du Jura et du Valais depuis des siècles, se répand en Suisse. Cette formule secrète, qui se transmet d'individu à individu, aurait le pouvoir de faire le bien, et principalement celui de guérir les blessures et brûlures ou de réduire les saignements. Si son efficacité a de tout temps été discutée, son effet calmant ou placebo est de moins en moins remis en cause. Le secret n'est plus tabou: certains hôpitaux suisses ne cachent d'ailleurs pas qu'ils disposent de listes de téléphones de faiseur-euse-s de secret à fournir aux patient-e-s qui demandent à y avoir recours.

Le RHNe s'est à son tour penché sur la question, à l'occasion de la Journée des cadres, organisée le 7 novembre, sur le site de La Chaux-de-Fonds, par la direction des ressources humaines. Une table ronde, animée par Lea Huszno, journaliste de la RTS, a réuni la Dre Mónica Levy, médecin-cheffe au service de médecine interne à La Chaux-de-Fonds, l'artiste plasticien et photographe neuchâtelois Sébastien Verdon, faiseur de secret depuis dix ans, et le réalisateur neuchâtelois Tizian Büchi, gagnant en 2022 du grand prix des 53e Visions du Réel pour son long métrage L'Îlot. La même année, il réalisait Monde sensible, un documentaire radiophonique sur le secret, diffusé sur la RTS.


 

La table ronde a réuni Lea Huszno, la Dre Mónica Levy, Sébastien Verdon et Tizian Büchi (de g. à dr.)

 

« Personnellement, je n'ai rien contre le secret, a déclaré la Dre Mónica Levy. Je ne pense pas qu'on puisse être contre si c'est la volonté de la personne qu'on traite. C’est comme quand le patient souhaite faire appel à Exit. On ne pratique pas le suicide assisté à l'hôpital, mais on peut le renseigner en ce qui concerne les démarches à suivre. »

Son ouverture est également due à l'humilité que lui inspire son métier: « Mon rôle est d'essayer de contribuer, si je peux, à la guérison, à l'équilibre du patient. Je fais de mon mieux, mais je ne sais pas tout. J'essaie d'intégrer le patient, de savoir ce qu'il veut, car c'est lui qui vit sa maladie. Donc s'il veut avoir recours au secret, pourquoi pas. Ce n'est pas à moi de décider si le secret doit entrer à l'hôpital. Ce serait un changement de culture, ce qui prend toujours du temps. Mais du moment que cela ne met pas en danger le patient, je pense, à titre personnel, qu'on peut cohabiter. »

Sébastien Verdon a rebondi sur cet aspect essentiel de sa pratique et expliqué qu'il ne se substituait pas au médecin: « J'ai par exemple reçu l'appel d'une personne dont la mère s'était brûlée très fortement. Quand elle m'a décrit le problème, je lui ai dit de l'amener immédiatement à l'hôpital, même si j'allais aussi faire quelque chose de mon côté pour répondre à sa demande. »

Les échanges entre les invité-e-s ont permis d'établir un parallèle entre médecine et secret: la forte intention d'aider l'autre. « Je n'ai pas la prétention de dire que j'ai un don, a ajouté Sébastien Verdon. Je pense que faire appel au secret ou pousser la porte d'un hôpital, c'est vouloir guérir. Et cette volonté de guérir, tout comme la forte intention du faiseur de secret de vouloir aider l'autre, sont indispensables pour le secret. »

Durant son travail de recherche pour le documentaire Monde sensible, Tizian Büchi avait également été marqué par cette intention d'aider qui animait les nombreuses personnes interrogées: « J'avais trouvé très beau de la retrouver chez tous ces faiseurs de secret. Quand on fait appel à eux, ils vont consacrer du temps, de l'énergie. Il y a comme une chaîne d'énergie mise en œuvre qui peut avoir un impact positif si l'intention est positive. »

Le réalisateur a profité de la table ronde pour souligner une autre similitude relevée dans les propos des intervenant-e-s : «Ce qui me touche, c'est de sentir des deux côtés cette humilité qui consiste à dire "Je peux aider, mais cela ne va pas forcément marcher". Dans mon podcast, je ne cherchais pas à lever le mystère sur le secret ou sur son fonctionnement. Je m'intéressais au contexte qui permet l'existence de cette pratique. Ce que j'aime, et ce à quoi je voulais donner de la place, c'est le fait d'accepter qu'il y a des choses qu'on ne peut tout simplement pas expliquer. »

 

Les deux épisodes de Monde sensible, réalisés par Tizian Büchi, sont à découvrir ici:

https://www.rts.ch/audio-podcast/2022/audio/monde-sensible-1-2-25862438.html

https://www.rts.ch/audio-podcast/2022/audio/monde-sensible-2-2-25864453.html