« Chaque site est un peu comme une petite ville »

Rencontre avec Camille Morgenthaler (à g.) et France Cadieux, du pôle de psychologues du travail.

En quoi consistent vos rôles respectifs? 

France Cadieux :  Mon poste comprend de multiples tâches. D’une part, j’accueille la souffrance des collaborateurs en lien avec le travail ou les accompagne en coaching en individuel. Je peux parfois être appelée à intervenir auprès d’équipes pour des thématiques bien spécifiques. Aussi je suis en charge des évaluations des risques psychosociaux au travail.
Camille et moi faisons toutes les deux parties de la direction des ressources humaines et collaborons régulièrement pour la création de projets de prévention et pour l’animation de journées de formation et d’ateliers. Il y a une jolie image sur la façon dont Camille et moi sommes perçues au sein du RHNe : elle amène une structure et moi j’enveloppe. Je trouve que cela résume bien nos activités respectives et notre complémentarité.

Camille Morgenthaler : Pour ma part, je suis active dans le développement organisationnel, ce qui inclut toutes les mesures planifiées au sein de l'institution qui visent à améliorer le bien-être des collaboratrices et collaborateurs, leurs conditions de travail et l'efficience de l’institution.
Cela passe notamment par l'accompagnement au changement ou par la mise en place et la révision des processus de travail. Je suis également des cadres lors de la mise en place de nouvelles organisations de travail. Je les soutiens et les conseille sur des thématiques telles que l’organisation et la répartition des tâches. Pour finir, je contribue aussi à la création de pôles de compétences au sein d’équipes spécialisées.

-À qui vous adressez-vous au quotidien ?

France Cadieux : Nous sommes amenées à échanger en individuel, en groupe, mais aussi avec plein d'acteurs différents comme le service de la communication, la sécurité, la cuisine, l’UPCI ou encore des externes comme le CNP (Centre neuchâtelois psychiatrique), le groupe de confiance de la CCT Santé 21 et l’assurance invalidité.

Camille Morgenthaler : J’ajouterais également les autres services RH qui nous aident à diffuser les renseignements et à maintenir l’ensemble du personnel informé, mais surtout qui partagent avec nous également leur propre perception du terrain. De plus, il y a un pan formation pour lequel nous collaborons avec le service développement qui gère la formation interne.

-Quels sont vos principaux défis ?

Camille Morgenthaler : Lors de l’initiation d’un nouveau projet, il est important de veiller à ce que toutes les parties impliquées ou impactées soient informées et considérées, et le RHNe est une grande organisation avec de multiples acteurs, il faut penser à toutes les interdépendances. L’adhésion de chacun est une condition essentielle au bon déroulement des projets.

France Cadieux : Même si l’envie d’aider est constamment présente, il n’est pas toujours possible de le faire. Cela demande d'être à l’aise avec un certain sentiment d’impuissance et d’avoir de l’humilité. Aussi, les processus psychologiques demandent du temps, ce qui va à l’encontre du fonctionnement « dans l’urgence » d’un hôpital de soins aigus. C’est important de prendre suffisamment de temps pour évaluer toute demande et y répondre au mieux.  Parfois, il est nécessaire de dire non ou alors d’orienter vers l’extérieur lorsqu’un travail de fond est nécessaire et que la problématique vient davantage du privé.

Autre défi : gérer le fait d’être entre l’institution qui impose son cadre de travail et la personne qui peut en souffrir.

Comment le recours à la psychologie du travail est-il perçu au sein de d'hôpital ?

France Cadieux : Consulter un psychologue n’est pas toujours chose aisée, d’autant plus lorsqu’on est soi-même soignant. Il y a beaucoup de fausses croyances de type « Si je consulte c’est que je suis fou » ou alors dans le cadre de l’institution « Si je parle, tout le monde sera au courant ».  La confidentialité est garantie.  Pour certains, nous contacter ne pose aucun problème alors que pour d’autres, un vrai travail de déconstruction peut être nécessaire pour faire sauter les craintes et établir la confiance.

Camille Morgenthaler : Je dirais que l’on est toujours accueillies avec une bonne curiosité, mais il y a quand même une certaine méconnaissance de nos rôles et de la psychologie du travail en général. Lorsque les gens pensent aux psychologues, ils pensent en premier lieu à ceux qui pratiquent la psychothérapie individuelle.
Pour ma part, je ne rencontre pas les difficultés liées à la pathologisation auxquelles France est confrontée. Je pense que le fait de poser des questions très précises sur les tâches de chacun lorsque j'interviens auprès d'une équipe permet aux collaborateurs de mieux comprendre ma démarche. L’organisation est plus concrète que la souffrance émotionnelle, cela rassure. Finalement, les personnes aiment généralement parler de leur travail et j’aime découvrir leurs activités, l’échange est sincère et permet de construire la confiance.

Vous êtes là pour accompagner les collaborateurs, mais partagez le même employeur. Cela les décourage-t-il parfois de faire appel à vous ? 

Camille Morgenthaler : Le fait que nous soyons affiliées au département des ressources humaines peut évidemment générer quelques craintes. Une fois bien établi que la confidentialité est garantie et qu’aucune information n’est divulguée sans accord préalable, la confiance s’installe petit à petit.
Chaque site est un peu comme une petite ville, avec ses différents acteurs, ses richesses et ses attentes. Nous essayons de prendre cela en compte pour accompagner nos collègues au mieux.

France Cadieux : Il y a aussi un effet de bouche à oreille, une personne qui est venue nous voir et s’est sentie soutenue sera plus encline à encourager ses collègues à venir. Pour ce qui est des soutiens individuels, offrir un espace au sein de l’institution pour déposer sa souffrance et que celle-ci soit reconnue est essentiel. Le simple fait d’être écouté fait du bien. En outre, soignants et médecins accumulent tous les risques psychosociaux. Donc il est d’autant plus important d’être en soutien.

Quelles ont été selon vous les incidences de la crise du Covid-19 sur le travail et sur la santé des professionnels du domaine médical ?

Camille Morgenthaler : D’un point de vue organisationnel, même si les choses fonctionnaient avant, la pandémie a participé à la cristallisation et à la polarisation de certaines difficultés. La fatigue s'est installée dans les équipes qui ont été très solidaires au moment de la crise, mais qui sont maintenant à bout de ressources.
Il y a une exacerbation du besoin de sens au travail et de certaines souffrances qui ont dû être réprimées pendant la pandémie. Il n’y avait pas le choix, il fallait être là. Les collaborateurs ont aujourd’hui de grandes attentes quant à ce qui va être fait par les autorités.

France Cadieux : Il y a eu une grande solidarité dans les équipes durant la pandémie. Le contrecoup au sortir de la crise semble plus difficile à vivre et à gérer. Il y a beaucoup d’épuisement et aussi une crise du sens. La pandémie n’a fait qu’exacerber une souffrance qui était déjà bien présente. À présent il y a une autre crise : celle du système de la santé qui arrive à bout en Suisse et ailleurs aussi.

Le milieu hospitalier est dur et passionnant à la fois, car il est d’une extrême richesse.