L’échec comme opportunité d'amélioration
L’échec comme opportunité d'amélioration
Lors de la rencontre des cadres, une conférence a fait le point sur une expérience redoutée, mais riche en enseignements.
L’erreur est humaine. Mais au lieu de la critiquer ou de la sanctionner, pourquoi ne pas en tirer des bénéfices? Tel a été le message central, lors de la rencontre des cadres du 7 novembre, des trois Neuchâtelois invités par le RHNe à s'exprimer sur le sujet: les auteurs du livre Célébrer l'échec!, François H. Courvoisier, docteur ès sciences économiques et professeur honoraire de la Haute école de gestion Arc, et Sedat Adiyaman, directeur des sociétés think2make.ch et coworking-neuchatel.ch, ainsi que l'entrepreneur Sacha Labourey, cofondateur de CloudBees, une société spécialisée dans les solutions informatiques et active dans une vingtaine de pays. En 2021, CloudBees est entrée dans le club très restreint des licornes suisses, les start-ups ayant atteint le milliard de dollars de valorisation.
«Je ne vais pas vous demander de lever la main si vous avez connu l’échec, car je pense que tout le monde l’a vécu, moi le premier», a commencé François H. Courvoisier. L’échec, a-t-il expliqué, se définit comme «un écart par rapport à un but qu’on s’est fixé». Pour l'étymologie du mot, deux origines lui semblaient pertinentes: «Celle venant de l'expression arabe al-shāh māt, signifiant le roi est mort, qui a donné échec et mat. Et celle issue de l'ancien français où le mot eschec signifiait le butin pris à l’ennemi. L’échec peut alors être une source positive, favorable, et pas uniquement une défaite.» L’histoire est jalonnée d’exemples d’entrepreneur-e-s, comme Steve Jobs ou Henry Ford, ayant ainsi transformé leurs échecs en opportunité, a rappelé l'économiste: «Et dans ses mémoires, James Dyson raconte qu’il a fait 5127 tentatives pour concevoir son aspirateur sans sac. C’est comme s’il avait joué plus de 5000 fois à la loterie avant de décrocher le jackpot!» Ces exemples de ténacité ont également permis aux orateurs de distinguer l'erreur de l'échec: «L’erreur est souvent plus rationnelle, explicable à posteriori. On la reconnaît plus facilement. L’échec, en revanche, surtout s’il nous touche personnellement, est plus émotionnel à évoquer, à partager et à surmonter.»
Savoir «recâbler les cerveaux»
Concernant cette distinction, Sacha Labourey a mis en avant l'importance cruciale de la prise de décisions: «Selon Jeff Bezos, fondateur d'Amazon, il existe deux types de décisions, les one-way doors (portes à sens unique) et les two-way doors (portes à double sens). Les premières sont des décisions irréversibles, qui nécessitent une analyse approfondie, car elles peuvent engager l’avenir de l’entreprise. Les autres, réversibles, permettent de corriger le tir si nécessaire. La majorité des décisions relèvent de ce deuxième type, mais souvent, les organisations s’enferment dans une paralysie de l’analyse. Il faut passer du temps à prendre des décisions quand ça en vaut vraiment la peine: pour les one-way-doors.» Le cofondateur de CloudBees a créé une troisième catégorie: les «non-décisions», ces moments où les options, bien que différentes, mènent au même résultat, rendant tout débat prolongé complètement inutile.
Pour illustrer son propos, l'ingénieur en informatique a décrit la tension entre deux approches opposées – persister coûte que coûte dans une vision ou faire preuve d’agilité en modifiant sa trajectoire – et souligné l’importance de trouver un équilibre. Ce dilemme, il l'avait notamment vécu en 2013, lorsque CloudBees, malgré son excellent démarrage trois ans auparavant, ne parvenait plus à lever de fonds. «On a d'abord pensé que les investisseurs ne comprenaient pas notre vision. Notre égo nous rendait un peu aveugle au marché qui évoluait. À ce moment-là, on n'avait plus d'argent et on devait lever de la dette, c'est-à-dire s'endetter auprès de nos propres investisseurs. C'est le Walk of shame de l'entrepreneur!» Cette obstination, l'entrepreneur la compare volontiers à celle d'une personne roulant à contresens sur l'autoroute, persuadée que ce sont les autres qui se trompent de sens, sans réaliser sa propre erreur. Pour ne pas sombrer, CloudBees a alors dû «recâbler ses cerveaux»: analyser en quoi le marché avait changé, repenser son modèle et identifier les atouts en sa possession pour un tel pivot. En 2014, la société opère un virage radical, renonçant à la majorité de ses développements et de ses clients. Ce changement risqué et irréversible s'avère gagnant: en 2015, elle triple ses effectifs, confirmant que l’échec, lorsqu’il est bien géré, peut être le moteur du succès.
Instaurer une culture de l'échec
Durant la conférence, Sedat Adiyaman a dressé un panorama des principaux types d’échecs identifiés lors des entretiens menés avec des entrepreneur-e-s romand-e-s pour la rédaction de Célébrer l'échec!: «Ce sont notamment la sous-estimation des ressources nécessaires pour atteindre un objectif, le manque de planification ou de business plan, l'incapacité d'innover, la perte de compétitivité ou l'obsolescence, le mauvais casting de collaborateurs ou encore les conflits avec le conseil d’administration, les politiques ou l'administration publique.» L'orateur a précisé que ces échecs relèvent de deux catégories: ceux dus à des causes internes, d’ordre organisationnel, et ceux découlant de causes externes, que sont par exemples les changements imprévus dans l’environnement économique, sanitaire ou géopolitique. Des causes externes rares, a renchéri Sacha Labourey: «Je suis toujours sceptique quand on me dit que c'est la faute à pas de chance. La plupart du temps, l’origine de l’échec se trouve en nous. On peut être dans le déni. Moi, je l'étais pendant longtemps en 2013. On peut ne pas se poser les bonnes questions ou ne pas vouloir entendre les réponses.»
Pour analyser ses erreurs et pouvoir progresser, l'ingénieur en informatique a insisté sur la nécessité de la transparence dans l'entreprise, de moments de débriefings et de discussion. Mais aussi de sa propre remise en question en tant que leader: lui-même, passionné par les problèmes informatiques, a vu son rôle évoluer vers des fonctions managériales qui ne correspondaient plus à ses aspirations. Il a finalement décidé de laisser sa place au sommet de CloudBees: «J'ai raté des trucs, j'ai fait des erreurs, je me suis planté. Si j’avais eu la clairvoyance de céder mon poste trois ans plus tôt, je les aurais évités.» Une expérience personnelle qui renforçait l'idée que, pour capitaliser sur les erreurs, chaque membre de l’équipe doit prendre en charge une partie de la réussite comme de l’échec. Les dirigeant-e-s doivent être exemplaires sur ce point: «Ça commence par le haut. Si les leaders n'assument pas leurs échecs, cela ne fonctionne pas.»
Pour les trois intervenants, l’instauration de cette culture de l’échec en entreprise est essentielle. «Nous sommes formatés depuis l'enfance pour éviter les échecs, a constaté François H. Courvoisier. Cela commence avec les notes dans un système scolaire assez élitiste. Il faut essayer de dépasser ce formatage au moyen de cours ou d'ateliers de partage, de discussion, de psychologie. L'instauration d'une culture de l'échec en entreprise permet de décharger la personne de l'aspect émotionnel lié à l'erreur.» Le processus de l'échec peut avoir de lourdes conséquences et suit les mêmes étapes que celles identifiées par la psychiatre suisse Elisabeth Kübler-Ross dans le processus du deuil: «D'abord, c'est le déni: ce n'est pas moi, c'est l'autre. Puis, la colère, suivie parfois d'une certaine forme de dépression, avant l'acceptation et la résilience, un concept popularisé par Boris Cyrulnik, a énuméré François H. Courvoisier. La résilience offre la capacité de résister et de surmonter l'épreuve désagréable en absorbant le choc émotionnel, tout en lui donnant du sens et en préparant un nouveau projet.»
En se focalisant sur l’amélioration du processus au lieu de chercher des coupables, l'entreprise crée une opportunité de croissance collective: «Il faut aussi savoir apprendre des autres, bien s'entourer, solliciter des feedbacks, y répondre et instaurer de la confiance, a conclu Sedat Adiyaman. Chaque entreprise doit créer sa propre démarche et conserver cette attitude positive pour aller de l'avant.»